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Ultracrépidarianisme, un mot à la mode.

| 02 mars 2023 | par Jean-Christophe Pellat

Ce mot n’est pas (encore) dans les dictionnaires, mais il a été popularisé en 2020.

ultracrépidarianisme, un mot à la mode

Il désigne une pratique très répandue, devenue tendance en 2020 avec le covid19, qui a provoqué un afflux dans les médias privés de spécialistes autoproclamés qui parlaient de l’épidémie sans rien y connaitre. L’ultracrépidarianisme est le comportement qui consiste à donner son avis sur des sujets à propos desquels on n’a pas de compétence crédible ou démontrée. Ce mot vient de l’anglais « ultracrepidarian », un mot rare qui a été créé en 1819 par l’essayiste William Hazlitt. En français, « ultracrépidarianisme » est utilisé pour la première fois en février 2014, comme emprunt du mot anglais « ultracrepidarianism » et il commence alors à se diffuser. Le mot s’est répandu cette année, quand le youtubeur Léo Grasset l’a employé dans un tweet largement relayé le 18 avril 2020. L’étymologie latine de ce mot est savoureuse. Ce mot vient d’une base « ultra crepidam », extraite d’une expression latine comportant les mots « supra crepidam », (« supra » est remplacé par « ultra ») : « sutor, ne supra crepidam ». L’expression latine vient d’une anecdote rapportée par Pline l’Ancien où l’artiste grec Apelle répondait à un cordonnier qui critiquait l’une de ses toiles : « Sutor, ne supra crepidam (iudicaret) » (« qu’un cordonnier ne juge pas plus haut que la chaussure »). Autrement dit, qu’un cordonnier ne parle pas (comme un sabot) de choses qui outrepassent ses compétences. C’est un cas de formation rare de noms à partir d’expressions de plusieurs mots, comme le « je-m’en-foutisme » ou « l’aquoibonisme », deux autres comportements qui n’arrivent pas à la cheville du soi-disant expert qui pratique l’ultracrépidarianisme.

Jean-Christophe Pellat
Jean-Christophe Pellat est professeur émérite de linguistique française à l’Université de Strasbourg, où il a enseigné en Licence, Master et dans les préparations au CAPES et aux agrégations de Lettres. Spécialiste de grammaire et orthographe françaises (histoire, description, didactique), il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, dernière éd. 2016) et de diverses grammaires scolaires. Dans ses travaux sur la didactique de la grammaire en FLE et FLM, il s’attache à l’adaptation des notions aux différents publics concernés.