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Pourquoi « s’en moquer comme de l’an quarante » ?

| 29 mai 2019 | par Jean-Christophe Pellat

Description et analyse de l'expression

L’expression proverbiale « s’en soucier, s’en moquer comme de l’an quarante », un peu familière, a un sens reconnu : « Se dit d'une chose à laquelle on n'attache pas la moindre importance » (TLFi). Mais de quel an quarante s’agit-il ? Chaque époque a cru parler d’un an 40 différent. Parcourons donc le temps. Selon une première explication, cette expression vient de craintes superstitieuses selon lesquelles la fin du monde devait avoir lieu « en l'an 40 du XIe siècle. Mais lorsque l'époque redoutable fut passée, on ne fit plus que rire de ces craintes puériles. » (TLFi, citant le « Larousse du 19e siècle »). La deuxième explication est sans doute la plus intéressante, car elle s’appuie sur la forme : « an quarante semble une altération de Alcoran » (TLFi, cf. « FEW », t. 1, 1948, s.v. « alcoran »), autre appellation du Coran : « s’en moquer comme de l’alcoran ». On imagine qu’au temps des Croisades, les chevaliers chrétiens se moquaient bien du Coran.  Selon d’autres, cette expression était « employée par les royalistes pour signifier qu'ils ne s'inquiétaient pas plus de qqch. que de l'an quarante de la République qu'on ne verrait jamais » (Robert). Et de fait, le calendrier républicain a été abrogé avant l’an 40, à la fin de l’an XII précisément, au début de 1806. Enfin, on ne retiendra pas la référence à l’an 1940, année de la défaite française, dont on pourrait se moquer, par ironie, car notre expression est très ancienne. Attention à ne pas voir trente-six chandelles à la lueur de ces explications.

Jean-Christophe Pellat
Jean-Christophe Pellat est professeur émérite de linguistique française à l’Université de Strasbourg, où il a enseigné en Licence, Master et dans les préparations au CAPES et aux agrégations de Lettres. Spécialiste de grammaire et orthographe françaises (histoire, description, didactique), il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, dernière éd. 2016) et de diverses grammaires scolaires. Dans ses travaux sur la didactique de la grammaire en FLE et FLM, il s’attache à l’adaptation des notions aux différents publics concernés.