Pour l'amour
de la langue française

"Invisible"

| 28 mai 2019 | par Jean-Christophe Pellat

Histoire d'un mot

Le terme « invisible », adjectif et nom masculin, emprunté au latin (1256), a principalement un sens concret, « qui n’est pas ou peu visible », comme dans le roman de H. G. Wells, « L’homme invisible ». Ce mot a connu une extension de sens, du concret physique à l’abstrait social. Selon les dictionnaires actuels, le sens abstrait d’« invisible » en parlant d’une personne est plutôt négatif :  « Qui se dérobe aux regards, qui ne veut pas être vu et qu'on ne peut rencontrer » (Robert). « Christiane enfin (...) s'obstinait à rester invisible, et sa chambre fermée à tous » (Elémir Bourges).  En ce début d’année, « invisible » se voit partout. Le film de Louis-Julien Petit, « Les invisibles », évoque le quotidien de femmes sans domicile fixe. Le livre « Les invisibles de la République », de Salomé Berlioux et Erkki Maillard (éd. R. Laffont), raconte, à partir de nombreux témoignages, « Comment on sacrifie la jeunesse de la France périphérique », la situation des jeunes qu’on ne voit pas et qui font face à de multiples obstacles qui entravent leur parcours professionnel, car ils sont loin des métropoles régionales. On parle aussi des « invisibles de la télé » (« Télérama » du 16.01.2019) à partir du baromètre annuel du CSA de la diversité à la télévision. Les emplois actuels du terme l’enrichissent d’un sens sociologique qui donne une perception positive des personnes évoquées, qui suscitent la sympathie. Nous découvrons donc un néologisme de sens dont nous verrons dans l’avenir s’il est durable.

Jean-Christophe Pellat
Jean-Christophe Pellat est professeur émérite de linguistique française à l’Université de Strasbourg, où il a enseigné en Licence, Master et dans les préparations au CAPES et aux agrégations de Lettres. Spécialiste de grammaire et orthographe françaises (histoire, description, didactique), il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, dernière éd. 2016) et de diverses grammaires scolaires. Dans ses travaux sur la didactique de la grammaire en FLE et FLM, il s’attache à l’adaptation des notions aux différents publics concernés.