Pour l'amour
de la langue française

[Question de jeune, Paul, 15 ans]

Pourquoi loup s'écrit-il avec un P et son féminin Louve ?

| 07 décembre 2022 | par Jean-Christophe Pellat

Le couple « loup / louve » représente une exception. Pourquoi dit on « un loup » et « une louve » ?

Souvent, on trouve une correspondance régulière entre le féminin et le masculin des noms : selon la règle générale, il suffit d’ajouter un -e au masculin : « renard / renarde, président / présidente », parfois en doublant la consonne : « chat / chatte, chien / chienne ». Le couple « loup / louve » représente une exception. Pourquoi dit on « un loup » et « une louve » ?

Cette irrégularité a un bon côté : elle évite un féminin « loupe » qui aurait été homonyme de l’instrument d’optique à effet grossissant. Mais cet évitement de l’homonymie n’est pas la bonne explication, car le nom « loupe » est apparu (1328) après notre couple, pour désigner une pierre précieuse qui présente un défaut. Le sens optique est arrivé le dernier (1680).

Revenons, osons-nous dire, à nos moutons. En fait, chaque membre du couple a suivi son chemin. La « louve » (1175, « love ») a pris la voie la plus simple, celle de l’évolution phonétique habituelle à partir du féminin latin « lupa ». Dès le début en français, « louve » a désigné « la femelle du loup ». Le loup, quant à lui, a pris un chemin plus tortueux ; il a d’abord été le « leu » (1080), terme conservé dans l’expression « à la queue leu leu ». Puis il est devenu le « loup » (1180), prenant son « ou » de sa moitié et son « p » de l’étymon latin « lupus ».

Un animal insaisissable donc, devenu malgré lui le modèle de l’animal féroce, comme on le lit dans « Le petit chaperon rouge ». « Méfiez-vous des loups, jeunes filles », dit Perrault, surtout de ceux qui sont « d’une humeur accorte, », car « […] hélas ! qui ne sait que ces loups doucereux, / De tous les loups sont les plus dangereux. » Cependant, on a formé un terme affectueux par répétition, « loup-loup » (fin XVIIIe s.) devenu « loulou » (1842), qui désigne un charmant petit chien à longs poils (« loulou de Poméranie »). Comme quoi le loup n’est pas toujours redoutable, devenu avec un possessif « un appellatif affectueux » (1890), « mon loup » ou « mon petit loup » (« Dict. hist. de la langue française »), comme dans la chanson de Pierre Perret. Mais au figuré, on se méfie toujours des « jeunes loups » (1966) dont les dents, dit-on, rayent le parquet.

Jean-Christophe Pellat
Jean-Christophe Pellat est professeur émérite de linguistique française à l’Université de Strasbourg, où il a enseigné en Licence, Master et dans les préparations au CAPES et aux agrégations de Lettres. Spécialiste de grammaire et orthographe françaises (histoire, description, didactique), il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, dernière éd. 2016) et de diverses grammaires scolaires. Dans ses travaux sur la didactique de la grammaire en FLE et FLM, il s’attache à l’adaptation des notions aux différents publics concernés.