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Pourquoi écrit-on à l’impératif « Mange », sans -s ?

| 02 mars 2023 | par Jean-Christophe Pellat

Pour répondre à cette question, employons la forme dialoguée des anciennes grammaires : l’élève (« Disciple ») pose des questions au « Praecepteur » qui lui répond (Ramus, 1562).  

pourquoi écrit-on à l'impératif "mange" sans -s

D.– Quelle est la terminaison écrite des verbes à la 2ème personne du singulier ?

P.– En règle générale, la 2ème personne du singulier se termine par -s : « tu chantes, finis, ... »

D.– Cette règle a-t-elle des exceptions ?

P.– Evidemment ! A l’impératif présent, les verbes en -er ne prennent pas de -s (« mange, écoute, ... »), contrairement aux autres verbes (« finis, pars, lis, écris, vois, prends, ... »).

D.– Ces verbes ne prennent vraiment jamais de -s final à l’impératif ?

P.- Si quand même, il y a des exceptions à cette exception. On ajoute un -s devant les pronoms « en, y » compléments : « penses-y, donnes-en », par analogie, comme « prends-y ».

D.– Est-ce que d’autres verbes se passent du -s final à l’impératif présent ?

P.– Eh oui ! On doit écrire sans-s toute une série de verbes en-ir (« offre, ouvre, cueille, ... ») et aussi « aie, sache, veuille, va ». Mais on écrira aussi avec un -s « vas-y ».

D.– Mais pourquoi donc écrit-on à l’impératif « mange » et tous ces verbes, sans -s final ?

P.- Cela s’explique par l’histoire de la langue. En latin, l’impératif présent de tous les verbes ne prenait pas de -s final : « ama » (aime), « lege » (lis), « audi » (écoute), ... Et cela a été transmis à l’ancien français, où les verbes se terminaient à l’impératif par une voyelle, souvent « y » pour « i », ou une consonne autre que -s : « finy, dy, voy, vien, ... ».

D.- Mais alors, pourquoi écrit-on aujourd’hui la plupart des verbes avec un -s final ?

P.- C’est à cause d’un moteur très puissant de l’évolution des langues, l’analogie. Au fil des siècles, on a rajouté un -s à l’impératif de tous les verbes, même des verbes en -er, par analogie avec la 2e personne du singulier de l’indicatif présent, puisque ces formes se prononcent de la même façon et que le -s est perçu comme la marque de cette personne. Après le XVIIe siècle, la règle du -s à l’impératif a été progressivement imposée par les grammairiens, mais elle n’a pas touché tous les verbes, et l’on a gardé sans -s notamment les verbes en -er (Vaugelas parle des verbes en -e). Autrement dit, la vague de l’analogie n’a pas été assez puissante pour recouvrir toutes les formes verbales, dont certaines sont restées des rochers hors d’eau.

Jean-Christophe Pellat
Jean-Christophe Pellat est professeur émérite de linguistique française à l’Université de Strasbourg, où il a enseigné en Licence, Master et dans les préparations au CAPES et aux agrégations de Lettres. Spécialiste de grammaire et orthographe françaises (histoire, description, didactique), il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, dernière éd. 2016) et de diverses grammaires scolaires. Dans ses travaux sur la didactique de la grammaire en FLE et FLM, il s’attache à l’adaptation des notions aux différents publics concernés.