Pour l'amour
de la langue française

Peut-on « tomber endormi » ?

| 17 mai 2018 | par Jean-Christophe Pellat

On peut tomber, au sens propre de faire une chute, de bien des façons.

Peut-on « tomber endormi » ?

« Tomber », dans le sens de « Se retrouver dans tel ou tel état physique ou moral, sous tel ou tel aspect » (TLFi), reçoit des attributs variés, qui indiquent dans quel état on atterrit, souvent avec une idée de déclin, de chute figurée : « tomber inanimé, mort, évanoui, paralysé, aveugle ». On peut aussi « tomber fou, malade ». On attribue souvent à Marivaux l’invention de « tomber amoureux », dont se moque une pièce de l’époque :

« Mlle RAFFINOT. – Hé, oui, tomber amoureux. Ne dit-on pas tomber malade ? Or, comme l’amour est une maladie, on doit dire tomber amoureux, et tomber en amour, comme tomber en apoplexie. » (Fuzelier, Le Sage et d’Orneval, « Les Amours déguisés », 1726).

En fait, Marivaux a popularisé une expression qui était déjà en usage.On peut donc aussi « tomber endormi », sous le coup d’une grosse fatigue, à condition que cela se fasse brusquement. Un excès de nourriture peut aider :

« Finalement les bourgeois et habitants de la cité du bienheureux Remi [...] empiffrés, saouls de viandes et de vin [...] tombaient endormis » (A. France, « Vie de Jeanne d’Arc »).

Un peu de grammaire pour finir. Aux temps composés, « tomber » s’emploie normalement avec l’auxiliaire « être » : « Le gouvernement est tombé. Le régime est tombé » (J. Romains). L’emploi classique de l’auxiliaire « avoir » est devenu archaïque ou rural : « Il n’avait pas tombé de pluie » (G. Sand). Bref, ce qui compte en cas de chute, c’est de bien tomber.

Jean-Christophe Pellat

Jean-Christophe Pellat est professeur de Linguistique française à l’Université Marc Bloch – Strasbourg 2.

Ses enseignements et ses recherches portent sur la grammaire et l’orthographe françaises, dans leurs dimensions historiques, descriptives et didactiques. Il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, 1994).

En complément de ses activités en France, il est responsable de différentes actions d'enseignement du français en collaboration avec des universités étrangères, notamment en Azerbaïdjan, en Iran et aux États-Unis.