Pour l'amour
de la langue française

Doit-on dire "tu t'en rappelles" ou "tu te le rappelles" ?

| 29 mai 2019 | par Jean-Christophe Pellat

Une subtilité de la langue française 

Réponse : « Tu te le rappelles ». La forme pronominale « se rappeler » est suivie d’un objet nominal en construction directe (COD) : « Elle se rappelait tous les détails, tous les petits faits, toutes les figures rencontrées là-bas » (Maupassant). La construction indirecte est due à l’analogie avec « se souvenir », de sens proche : « Je me souviens / Des jours anciens / Et je pleure » (Verlaine). Bref, « on se rappelle quelque chose » et « on se souvient de quelque chose ». Mais il arrive aux écrivains d’employer la construction indirecte de « se rappeler » : « Elle se rappelait de sa demande » (Fr. Jammes). Et Claudel défendait cette construction, « la seule vraiment correcte, et en même temps beaucoup plus élégante » (cité par le « Bon usage », §285-R7). Et la construction indirecte est favorisée par l’impossibilité de la construction directe de « se rappeler » avec les pronoms « me, te, nous, vous » (*je me te rappelle »), ce qui impose l’emploi des pronoms toniques indirects :  « je me rappelle de toi ». Mais au fond, ces deux verbes ne sont pas parfaitement synonymes. « Se rappeler » a un sens actif, volontaire : « faire revenir à la mémoire », alors que le souvenir revient à l’esprit sans action consciente du sujet, comme on le lit chez Proust. Face à l’échec du rappel conscient du passé, la mémoire involontaire, suscitée par la sensation, fait surgir le souvenir : « Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine… » (« Du côté de chez Swann »).

Jean-Christophe Pellat
Jean-Christophe Pellat est professeur émérite de linguistique française à l’Université de Strasbourg, où il a enseigné en Licence, Master et dans les préparations au CAPES et aux agrégations de Lettres. Spécialiste de grammaire et orthographe françaises (histoire, description, didactique), il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, dernière éd. 2016) et de diverses grammaires scolaires. Dans ses travaux sur la didactique de la grammaire en FLE et FLM, il s’attache à l’adaptation des notions aux différents publics concernés.